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Les droits de douane sur les véhicules électriques ne suffiront pas à garantir la compétitivité du Canada

septembre 2024
Bentley Allan, Travis Southin

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Le 26 août, le Canada a annoncé qu’il s’alignait sur les droits de douane américains sur les véhicules électriques, l’acier et l’aluminium chinois[1], ce qui signifie que des droits de douane de 100 % seront imposés sur les VE à partir du 1er octobre et des droits de douane de 25 % sur l’acier et l’aluminium à partir du 15 octobre[2].[2] Cette annonce était attendue en raison de la nature intégrée des chaînes d’approvisionnement de l’industrie automobile nord-américaine. Toutefois, ces mesures ne suffiront pas à garantir le succès à long terme du secteur canadien des VE. Pour améliorer efficacement la compétitivité du Canada, ces droits de douane doivent être intégrés dans une politique industrielle globale.

Bien que les droits de douane et les subventions soient des outils importants, une politique industrielle efficace nécessite une approche à multiples facettes[3].[3] L’objectif de la politique industrielle est de créer des industries compétitives à l’échelle mondiale. Pour ce faire, vous devez investir massivement dans la base de connaissances et de fabrication des technologies. Du point de vue de la politique industrielle, le principal effet des récents droits de douane sur les VE fabriqués en Chine est de donner au Canada et à ses alliés occidentaux le temps de rattraper leur retard en matière d’innovation en réduisant le rapport coût/performance des VE produits dans le pays. Quel est donc le plan pour utiliser ce temps afin de rendre les industries américaines et canadiennes compétitives ? Et quels éléments doivent être ajoutés à la politique industrielle nord-américaine pour que cet objectif soit réaliste ?

La plupart des reportages sur cette annonce se sont concentrés sur la principale raison d’être des droits de douane : le fait que la Chine a généreusement subventionné son industrie des véhicules électriques[4],[4] permettant aux entreprises chinoises d’offrir aux consommateurs canadiens des prix artificiellement bas. Les dirigeants du gouvernement et de l’opposition ont cité la surabondance de l’offre subventionnée et les pratiques déloyales en matière de travail et d’environnement comme la principale raison d’être des droits de douane[5]. [5] L’annonce du gouvernement indique que « la politique intentionnelle de surcapacité et l’absence de normes rigoureuses en matière de travail et d’environnement menées par la Chine menacent les travailleurs et les entreprises de l’industrie des véhicules électriques dans le monde entier et compromettent la prospérité économique à long terme du Canada » [6].[6]

Cependant, l’attention s’est moins portée sur une vérité plus grande et plus gênante : l’écart de compétitivité ne peut pas être uniquement attribué à des subventions et des pratiques de travail injustes, car les entreprises chinoises de batteries et de véhicules électriques ont mis au point des produits et des processus de production parmi les plus innovants au monde[7]. [7] Les entités chinoises ont augmenté leur part mondiale de brevets dans le domaine de la propulsion électrique de 2,4 % en 2010 à 26,9 % en 2020 et représentent aujourd’hui 65,4 % des publications de recherche à fort impact dans le domaine des batteries électriques. [8] En bref, le « Made in China » n’est plus synonyme de technologie de qualité inférieure.

Le « bond en avant » de la Chine en matière d’innovation dans le domaine des VE est le résultat d’une stratégie industrielle de 15 ans visant à positionner ses entreprises à la frontière technologique[9]. [ La politique industrielle a aidé ces entreprises à traverser la vallée de la mort de la commercialisation dans les années 2010, notamment par des subventions à la R&D, des prêts, des exigences de contenu local pour les incitations à l’achat et l’utilisation stratégique des marchés publics de bus municipaux.[10] De nombreuses subventions ont été réduites dans les années 2020, comme la fin de la « liste blanche des batteries » (2015-2019) qui garantissait que seules les batteries chinoises étaient éligibles aux subventions,[11] ainsi que la fin des rabais accordés aux acheteurs en 2023.[12] L’utilisation par la Chine d’exigences en matière de coentreprises pour les VE a permis de garantir le transfert de technologie des investissements directs étrangers vers les entreprises nationales. La Chine n’est pas la seule à utiliser la politique industrielle pour s’assurer le leadership en matière de VE. Le leadership technologique des entreprises japonaises, coréennes et européennes dont le Canada a attiré les investissements dans les VE est le fruit de stratégies d’innovation délibérées et étalées sur plusieurs décennies de la part de leurs gouvernements respectifs. Si le Canada ne peut pas imiter certaines des approches les plus musclées de la Chine, il devrait adopter l’objectif fondamental de positionner les entreprises nationales à la frontière des technologies des batteries et des VE de la prochaine génération.

Quelles leçons peut-on tirer pour s’assurer que les entreprises canadiennes seront la prochaine génération de leaders mondiaux en matière d’innovation dans le domaine des VE ? Accelerate, l’alliance canadienne de la chaîne d’approvisionnement des véhicules à zéro émission, a récemment publié la feuille de route du Canada pour l’innovation dans le domaine des batteries, qui présente une stratégie visant à faire du Canada un leader mondial de la technologie des batteries d’ici à 2035. [13] La feuille de route propose une analyse approfondie de la position actuelle du Canada dans le paysage mondial des batteries et détaille les actions clés nécessaires pour construire un écosystème de batteries prospère. La feuille de route aborde des domaines essentiels tels que l’infrastructure d’innovation, la politique industrielle et le développement des compétences. Elle est conçue pour guider les décideurs politiques, les chefs d’entreprise et les chercheurs dans leurs efforts de collaboration visant à maximiser le potentiel du Canada dans le secteur des batteries, qui évolue rapidement. [14]

Accelerate résume comme suit les principales recommandations de la feuille de route du Canada pour l’innovation dans le domaine des batteries :[15]
  • Investissements stratégiques : La feuille de route propose un investissement de 3 milliards de dollars dans l’innovation en matière de batteries, la création d’un groupe de travail financier pour améliorer les mécanismes de financement et l’expansion des centres de R&D sur les batteries au Canada grâce à un financement accru du CNRC. De nouveaux centres de recherche et des installations de démonstration seraient également créés.
  • Alliance nationale des batteries : L’Alliance nationale pour les batteries est au cœur de la stratégie. Il s’agit d’un partenariat public-privé destiné à synchroniser les efforts et à soutenir les avancées stratégiques en cours. Cette alliance réunirait les principaux acteurs du gouvernement, de l’industrie et du monde universitaire pour piloter les initiatives du Canada en matière de technologie des batteries.
  • Coordination pangouvernementale : Créez une petite équipe gouvernementale de résolution de problèmes (8 à 10 personnes) pour l’innovation de la batterie, composée de deux représentants du ministère des Finances, de RNCan et de l’ISED, et d’un représentant du CIC, du CGF, du PMO et du PCO.
  • Développement de la main-d’œuvre : Le plan vise à former plus de 10 000 professionnels qualifiés d’ici 2035 grâce à la cartographie des compétences, à des partenariats internationaux et éducatifs, à des programmes de formation et à des bourses de recherche.
  • la résilience économique et sécuritaire : La feuille de route vise à augmenter le nombre d’entreprises de batteries appartenant à des intérêts canadiens, à créer des pôles de production et à élaborer un tableau de bord de l’écosystème des batteries. Réduire la dépendance à l’égard des importations étrangères en améliorant les capacités technologiques et les chaînes d’approvisionnement nationales en matière de batteries renforce la sécurité nationale et la résilience économique du Canada.
  • Stratégie en matière de propriété intellectuelle (PI) : Cette stratégie comprend l’éducation à la propriété intellectuelle, le soutien aux jeunes entreprises, une stratégie de propriété intellectuelle accélérée et encourage le partage des brevets pour protéger les innovations canadiennes.
  • Collaboration internationale et réseau d’innovation : La feuille de route propose des partenariats de recherche internationaux, un réseau d’innovation manufacturière, un fonds de démonstration significatif, des partenariats de démarrage et des processus réglementaires rationalisés.
  • Intégration des normes et des politiques : La feuille de route prévoit l’élaboration de nouvelles normes pour les matériaux des batteries, l’intégration des programmes dans la politique, l’adaptation des programmes d’EDC aux exportations et le soutien aux centres d’innovation en matière de recyclage et à la recherche sur les matériaux et les produits chimiques avancés.

La politique industrielle du Canada en matière de véhicules électriques doit être élaborée en phase avec les efforts déployés par les États-Unis pour construire un bloc commercial nord-américain et pour « amicaliser » les chaînes d’approvisionnement des véhicules électriques entre des alliés partageant les mêmes idées.[16] Il s’agira de coordonner les politiques commerciales et environnementales, par exemple en explorant des mécanismes d’ajustement aux frontières pour le carbone afin de placer les matériaux de batteries nord-américains moins nocifs pour l’environnement sur un pied d’égalité avec les alternatives chinoises. Toutefois, il convient également de souligner que suivre les Américains signifie bien plus que de faire correspondre les droits de douane et les crédits d’impôt à la production pour les investissements directs étrangers. La loi américaine sur la réduction de l’inflation et la loi bipartisane sur l’infrastructure ont investi des milliards dans les laboratoires du ministère de l’énergie et dans le financement de la mise à l’échelle par le biais de la démonstration de la R&D et du financement des prêts (Loan Programs Office).

Le Canada doit également intégrer sa politique industrielle à celle des pays alliés pour que les éléments en amont de la chaîne d’approvisionnement des batteries se libèrent de la mainmise de la Chine sur les minerais et les matériaux essentiels des batteries. La bonne nouvelle, c’est que c’est possible. Des recherches menées par le Johns Hopkins Net Zero Industrial Policy Lab ont révélé que les réserves minérales connues aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et en Australie peuvent répondre à la demande nord-américaine de minéraux essentiels au cours de la présente décennie. [17]

L’approche à long terme du Canada pour construire une chaîne d’approvisionnement en VE ne peut pas être réactive, en incitant les leaders de l’innovation alliés à installer des succursales tout en bloquant les importations de technologies chinoises supérieures à l’aide de droits de douane. Au contraire, nous devons être proactifs, en nous concentrant sur le saut technologique et en positionnant les entreprises canadiennes en vue d’une réussite future. Après tout, le Canada ne manque pas d’innovation ; nous avons inventé de nombreuses technologies de batteries pour véhicules électriques, mais nous n’avions pas la politique industrielle nécessaire pour développer les entreprises comme l’ont fait la Chine, la Corée et le Japon.

Il est plus coûteux à long terme de céder le leadership technologique nord-américain que d’adopter une stratégie d’innovation et de mise à l’échelle tournée vers l’avenir, afin que les entreprises canadiennes soient celles qui proposent des produits de qualité supérieure et qui peuvent développer leur production et leurs exportations à l’échelle mondiale. Le coût des incitations actuelles à l’investissement direct étranger dans les usines de batteries en est une preuve suffisante. En résumé, l’utilisation des droits de douane doit être considérée comme un élément d’une politique industrielle stratégique plus large.



Références
[1] https://www.canada.ca/en/department-finance/news/2024/08/canada-implementing-measures-to-protect-canadian-workers-and-key-economic-sectors-from-unfair-chinese-trade-practices.html
[2] https://www.theglobeandmail.com/business/article-ottawa-to-impose-100-per-cent-tariff-on-chinese-made-evs/
[3] https://transitionaccelerator.ca/reports/white-paper-taking-a-strategic-approach-to-industrial-transition/
[4] https://www.csis.org/blogs/trustee-china-hand/chinese-ev-dilemma-subsidized-yet-striking
[5] https://www.theglobeandmail.com/business/article-ottawa-to-impose-100-per-cent-tariff-on-chinese-made-evs/
[6 ] https://www.canada.ca/en/department-finance/news/2024/08/canada-implementing-measures-to-protect-canadian-workers-and-key-economic-sectors-from-unfair-chinese-trade-practices.html
[ 7] https://itif.org/publicati Le bond en avant de la Chine en matière d’électromobilité. L’histoire d’une transformation verte favorisant le rattrapage et l’avantage concurrentiel. Technological Forecasting and Social Change, 183, 121914.
[10] https://www.csis.org/blogs/trustee-china-hand/chinese-ev-dilemma-subsidized-yet-striking;
Altenburg, T., Corrocher, N., & Malerba, F. (2022). China’s leapfrogging in electromobility. A story of green transformation driving catch-up and competitive advantage. Technological Forecasting and Social Change, 183
Thurbon, E., Kim, S. Y., Tan, H., & Mathews, J. A. (2023). Developmental environmentalism : state ambition and creative destruction in East Asia’s green energy transition. Oxford University Press.
[11] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2210422422001204
[12] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2210422422001204
[13] https://bir.acceleratezev.ca/home
[14] https://bir.acceleratezev.ca/home
[15] https://www.acceleratezev.ca/news/8DmLkpJg0N
[16] https://www.foreignaffairs.com/united-states/how-america-can-win-coming-battery-war
[17] https://www.foreignaffairs.com/united-states/how-america-can-win-coming-battery-war
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